C'est au mois de février 2007 que Louis BOUTRIN et Raphaël CONFIANT publiaient "Chronique d'un empoisonnement annoncé".
Il y a donc 13 ans.
L'ouvrage (toujours trouvable en librairie) était sous-titré : "Le scandale du Chlordécone aux Antilles françaises (1972-2002)" et est dédié à deux personnes, le Martiniquais Pierre DAVIDAS et le Guadeloupéen, Jacques PORTECOP, pionnier de l'écologie dans son île. Le premier, DAVIDAS, n'était ni un diplômé ni un grand chef politique, mais un Martiniquais d'ascendance très modeste originaire de la campagne de Rivière-Pilote ("Man né anba kako-a", aimait-il à dire) qui, après une carrière dans l'armée, était revenu au pays et avait découvert par ses propres moyens, en autodidacte donc, les ravages causés par l'usage inconsidéré, non seulement du chlordécone, mais aussi d'autres pesticides moins connus comme le paraquat, le perchlordécone ou la dieldrine.
P. DAVIDAS avait alors adhéré au PPM, écrivait des articles sur la question dans Le Progressiste et emmenait Camille DARSIERES, secrétaire général du parti, sur le terrain afin de lui faire mieux comprendre la situation. Au bout de trois ans (on était au début des années 80), il comprit qu'il perdait son temps avec ces incurables citadins de FOYAL et démissionna pour fonder avec Garcin MALSA, Jean-Luc EGA, Pascal TOURBILLON, Henri LOUIS-REGIS, Raphaël CONFIANT, Maguy LAUREAT et bien d'autres, la toute première association écologique de la Martinique, l'ASSAUPASU, qui devait lutter, avec succès, contre la construction d'un barrage au lieu-dit Crève-Coeur, à l'entrée de Saint-Anne. Aux dires de ces concepteurs ledit barrage devait, à l'instar de celui de La Manzo, permettre l'irrigation des terres du sud de la Martinique alors frappées par une grande extrême. L'ASSAUPAMAR considérait que La Manzo suffisait et elle eut raison comme on peut le constater aujourd'hui.
Puis, l'ASSAUPASU ("SU" pour "SUD") se transforma en ASSAUPAMAR ("MAR" pour "MARTINIQUE") et se mit à intervenir partout où cela était nécessaire à la Martinique. Partout où des crimes écologiques (et économiques) étaient commis contre le pays-Martinique et sa population : bétonisation de terres agricoles, destructions de mangroves, utilisation de pesticides dangereux etc...A la vérité, DAVIDAS, qui était toujours à la pointe du combat, chapeau-bakoua vissé sur la tête et verbe tonitruant, avait un peu de mal à se faire entendre au début. C'est que si construire un lotissement sur une terre agricole est visible à l'œil nu, si arracher une mangrove pour installer une marina se repère immédiatement, percevoir les effets néfastes d'un pesticide est beaucoup moins spectaculaire. Personne en Martinique ne se doutait que l'eau du robinet si fraîche et transparente qui nous était distribuée, depuis une trentaine d'années, était en fait gorgée de chlordécone et d'autres pesticides. Malgré les articles de P. DAVIDAS dans l'hebdomadaire ANTILLA !
Personne ne s'en doutait à part les Békés et l'Etat français !
Les planteurs békés d'abord, parce que comme l'expliquent L. BOUTRIN et R. CONFIANT dans leur ouvrage, ils avaient fait synthétiser la molécule dans un laboratoire à Amiens, fait fabriquer le pesticide par une usine au Brésil et le faisaient rentrer en Martinique sous le nom de...Curlone. Ils savaient très bien que le chlordécone avait été interdit aux Etats-Unis, premier pays à le fabriquer, dès 1979. Quant à l'Etat français, il était encore mieux placé pour mesurer la dangerosité du produit puisque ses propres services déconcentrés avaient publié de multiples rapports dans les années 70 (Rapport DE KERMADEC, Rapport SNEGAROFF etc.) que ledit Etat s'était empressé de dissimuler aux Martiniquais.
Une partie de l'ouvrage de L. BOUTRIN et R. CONFIANT est d'ailleurs fondé sur l'exploitation de ces différents rapports pour le moins accablants puisque, par exemple, si le chlordécone avait bien reçu une AMM (Autorisation de Mise sur le Marché) par le Ministère français de l'Agriculture, comment était-il possible que de la dieldrine, produit jamais homologué, ait pu être retrouvé (Rapport DE KERMADEC) dans des rivières de Capesterre-Belle-Eau, en Guadeloupe ? Qui importait, clandestinement, ce pesticide interdit ?
Une deuxième source qui fut utile aux deux auteurs a été le site-Internet de l'American Cancer Institute que tout le monde pouvait et peut consulter. Même si ses articles scientifiques sur le chlordécone et les autres pesticides y sont rédigés en anglais, les Békés et l'Etat français ne peuvent pas nous dire aujourd'hui qu'ils ne savaient pas. Le tout premier article concerne justement l'usine de Virginie où était fabriqué le chlordécone qui, suite à une explosion, avait vu le produit se déverser dans un fleuve tout proche. L'année d'après, tous les crocodiles, d'une espèce assez rare, qui y vivaient n'ont donné naissance qu'à des femelles et l'espèce a fini par s'éteindre ! Mais si ce n'était que cela : dans les années qui suivirent, nombre d'employés de cette usine se mirent à développer toutes sortes de cancers parmi les plus graves comme celui du myélome et décédèrent les uns après les autres.
Donc, première source de l'ouvrage de L. BOUTRIN et R. CONFIANT : les rapports des services déconcentrés de l'Etat français. Deuxième source : les articles sur le chlordécone de l'American Cancer Institute. Troisième source : des enquêtes de terrain menées par les deux écologistes au Lorrain, au Marigot, au François, à Saint-Esprit etc...Ils sont allés à la rencontre des ouvriers agricoles malades, ils ont rencontré des aquaculteurs ruinés du jour au lendemain parce que leurs bassins à écrevisses se trouvaient au pied des mornes plantés en banane, ils ont consulté le Registre du Cancer de la Martinique sur les dix années précédant 2007, ils ont pris contact avec des scientifiques français et américains etc...
Mais écrire un livre ne suffisait, eut-il un succès retentissant, ce qui fut le cas.
L. BOUTRIN et R. CONFIANT décidèrent alors de dénoncer l'empoisonnement de nos îles par le chlordécone dans l'enceinte même de l'Assemblée nationale française, à Paris, en y organisant une conférence de presse. A la table ce jour-là, face à tous les grands médias hexagonaux, ils avaient à leurs côtés, Corinne LEPAGE, écologiste de droite, et Alain LIPIETZ, écologiste de gauche. MAIS AUCUN DEPUTE NI DE GUADELOUPE NI DE MARTINIQUE ! La conférence permit de faire passer le message et la semaine d'après, LE NOUVEL OBSERVATEUR titrait en couverture : "Les Antilles empoisonnées". L'Hexagone était désormais au courant du scandale.
Mais écrire un livre, puis faire une conférence de presse, fut-ce dans le cœur du pouvoir de la République française, ne suffisaient pas.
Rentrés au pays, L. BOUTRIN et R. CONFIANT multiplièrent les conférences d'information au Lorrain, au François, à Trinité etc...avant de créer l'ANC (Association NON AU CHLORDECONE) laquelle la vieille d'un vendredi saint réussit à rassembler plus de 300 personnes à l'Atrium. Seul homme politique présent ce soi-là à la tribune : Claude LISE. Puis, l'ANC organisa des manifestations dans les rues de Fort-de-France, l'une d'elle rassemblant près de 400 personnes qui marchèrent sur la Préfecture devant laquelle elles furent bloquées par un important dispositif policier. Que fit le maire de Fort-de-France de l'époque, Serge LETCHIMY ? Il rassembla à toute vitesse les revendeuses des différents marchés de la ville dans une association appelée "Machann Foyal" laquelle défila dans les rues et conspua BOUTRIN et CONFIANT. Motif : les deux écologistes voulaient leur "enlever le pain de la bouche" en disant que les légumes qu'elles revendaient été bourrés de chlordécone. Or, ce que les deux hommes demandaient, c'était tout simplement la mise sur pied d'un système de traçabilité desdits légumes ! Donc quand, 12 ans plus tard, en 2019, S. LETCHIMY se présente en tant que Christophe COLOMB du chlordécone, lui et sa commission parlementaire aux pouvoirs tronqués, il y a de quoi sourire. Comme il y a de quoi sourire quand l'alliance insolite des marxistes-léninistes révolutionnaires et des noiristes panafricanistes, qui bloquent les supermarchés békés certains weekends, se permet de critiquer BOUTRIN et CONFIANT. Ils et elles étaient où en 2007 ? Il y a 13 ans...
Mais écrire un livre, faire une conférence de presse en pleine l'Assemblée nationale, créer l'ANC et multiplier à travers la Martinique les conférences d'information et enfin organiser des manifestations dans les rues de Foyal n'était pas assez.
L'Association POUR UNE ECOLOGIE URBAINE dont BOUTRIN est le président porta plainte, tout comme l'ASSAUMAR et des organisations écologistes guadeloupéennes dont celle de Harry DURIMEL, contre l'Etat français pour "empoisonnement et mise en danger de la vie d'autrui". Très vite, le dossier fut délocalisé auprès du Tribunal de Paris et on n'entendit plus du tout parler de ladite plainte. Qu'à cela ne tienne ! A trois reprises, L. BOUTRIN demanda audience à la Ministre de la Santé de l'époque, Roselyne BACHELOT laquelle finit par le recevoir pour lui tenir un discours lénifiant selon lequel l'Etat ferait tout pour s'attaquer au problème du chlordécone et bla-bla-bla. Inutile de dire que ces trois fois-là, BOUTRIN s'est rendu à Paris à ses frais !
Voilà donc l'histoire, abrégée, de la rédaction de ce livre, Chronique d'un empoisonnement annoncé, paru il y a 13 ans ! Quand on entend ou on lit aujourd'hui que BOUTRIN aurait utilisé l'affaire du chlordécone pour se faire élire et que depuis qu'il siège au conseil exécutif de la CTM, il ne fait plus rien, il y a de quoi rager. Où étaient-ils il y a 13 ans, les donneurs de leçons d'aujourd'hui ? Car écrire un livre, ce n'était pas assez. Faire une conférence à l'Assemblée nationale, ce n'était pas assez. Créer l'Association NON AU CHLORDECONE et défiler dans les rues de Fort-de-France, ce n'était pas assez. Porter plainte contre l'Etat Français pour "empoisonnement", ce n'était pas assez. Ah, un petit oubli : écrire noir sur blanc, pour la première fois, le nom du principal importateur béké du pesticide, DE LAGUARRIGUE, ce n'était pas assez non plus.
Une fois élu et devenu président du PNM (Parc Naturel de Martinique), L. BOUTRIN s'est employé à mettre en place le LABEL ZERO CHLORDECONE qui rassemble aujourd'hui une cinquantaine d'agriculteurs et d'éleveurs. Puis, il a mis en place l'APPLICATION ZERO CHLORDECONE, téléchargeable sur n'importe quel téléphone, qui permet en quelques secondes au consommateur de savoir d'où vient un produit, quand il a été planté, puis récolté, s'il contient du chlordécone etc...Application qui a été testée in vivo et filmée par le JT de MARTINIQUE 1è par des clients d'un supermarché de la place, au rayon "Fruits et légumes". Quant à R. CONFIANT, depuis 13 ans, il n'a cessé d'informer sur le chlordécone sur le site-Internet dont il est le directeur à savoir MONTRAY KREYOL. Ah, un autre oubli : en septembre 2007, BOUTRIN et CONFIANT publient un deuxième livre : "Chlordécone : 12 mesures pour sortir de la crise". L'Etat français reprendra certaines d'entre elles dans les différents "Plan Chlordécone" qu'il mettra sur pied dans les années suivantes...
Mais le combat n'est toujours pas fini.
Il faut désormais sortir du microcosme martinico-guadeloupéeo-français et porter l'affaire sur le plan international. C'est en cours !...