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CONTRIBUTION DE LOUIS BOUTRIN POUR UNE RÉFORME DE LA LOI DU 27 JUILLET 2011

Date de publication
11 septembre 2025

Née des Lois organique et ordinaire du 27 juillet 2011, la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM) a éprouvé des difficultés dans sa mise en œuvre qui, à l’instar de l’ex-Collectivité Territoriale de Corse, nécessitent une réforme et des ajustements juridiques.  Les imperfections de ces lois qui ont porté sur les fonts baptismaux la CTM ont été très vite identifiées et c’est à l’usage que l’on a pu prendre la pleine mesure des correctifs à apporter.

En effet, l’architecture de la Collectivité territoriale de Martinique étant fortement inspirée par celle de l’ex-Collectivité Territoriale de Corse, il semble pertinent d’apporter des ajustements rapides aux dispositions juridiques qui demeurent sources de dysfonctionnement voire d’instabilité politique. Dans le cas de la Corse le recours à une loi ordinaire montre bien qu’il n’est point besoin d’une loi constitutionnelle.

Cependant, au-delà du bilan politique des deux premières mandatures qui, in fine, sont validées (ou pas) par les électeurs, il convient de se pencher à la fois sur l’architecture de ce nouvel instrument institutionnel et sur une analyse d’impact pour mieux comprendre les raisons de ses dysfonctionnements. Ma formation de juriste, l’expérience personnelle et les missions qui m’ont été confiées par le Président Alfred Marie-Jeanne (2015-2021) m’autorisent aujourd’hui à apporter la contribution qui suit :

  1. SUR L’INSUFFISANCE DES MOYENS DE FINANCEMENT

Cette Collectivité unique voulue par les élus et validée par les électeurs martiniquais constitue une étape nécessaire sur le chemin de la responsabilité et s’inscrit dans le droit fil du principe de subsidiarité, principe fondamental de la Charte de l’autonomie locale, consacré dans le droit européen par le Traité de Maastricht : « l'exercice des responsabilités publiques doit, de façon générale, incomber de préférence, aux autorités les plus proches des citoyens ».

Elle mérite cependant beaucoup d’ajustements notamment au niveau des moyens budgétaires qui demeurent essentiels pour l’exercice de ses missions. Paradoxalement, les questions de financement de la CTM sont abordées qu’à la marge des débats actuels ou des suggestions des uns et des autres. Or, dès sa mise en place, la Collectivité de Corse a bénéficié des dotations globales de fonctionnement des Régions et celles des Départements, de la dotation globale d’équipement, d’une dotation globale de décentralisation, des produits intérieurs sur les conventions d’assurance ainsi que du produit des amendes de police relatives à la circulation routière Autant de recettes qui nécessitent des ajustements budgétaires aux mêmes taux en faveur de la CTM.

Quatre autres niveaux méritent une attention toute particulière dans l’optique d’une réforme institutionnelle :

  1. SUR LE MODE DE SCRUTIN

Le mode de scrutin actuel ne favorise pas entièrement l’expression de la démocratie représentative. La prime de 11 sièges attribuée à la liste arrivée en tête lors du scrutin est excessive (prime de 9 sièges en Corse) et écarte une bonne partie des opinions qui se sont exprimées à travers des listes qui n’ont pas dépassé la barre des 5%. La conséquence directe est une concentration des pouvoirs aux mains de la majorité rendant peu audible l’expression des voix de l’opposition. Il conviendra de ramener cette prime à 9 sièges.

  1. POUR UN CONSEIL EXÉCUTIF À 11 MEMBRES & UNE ASSEMBLÉE À 63 MEMBRES

L’absence de Commission permanente et de représentant de l’opposition au sein d’un Conseil exécutif monocolore. La totalité des compétences dévolues jusqu’alors aux collectivités régionale et départementale se retrouve concentrée au sein d’un seul groupe politique. Ce conseil exécutif a toute latitude pour prendre des « arrêtés délibérés » - actes fondateurs de droit au même titre que les délibérations -, sans que les autres membres de la majorité et de l’opposition en soient informés. Néanmoins, a contrario du modèle d’un exécutif uninominal de l’ex-exécutif de la Région, avec la concentration de la totalité du pouvoir décisionnel pour l’exercice de la totalité des compétences, c’est de manière collégiale que les actes du Conseil exécutif sont pris.

Toutefois, au-delà des questions de gouvernance, le choix d’un Conseil exécutif collégial de 9 membres, sur le modèle de la Collectivité de Corse, constitue une avancée démocratique. L’expérience et l’abondance de compétences à exercer ont conduit les Corses à opter pour un Conseil exécutif de 11 membres au lieu de 9 et nous devrions opter pour cette évolution à 11 membres.

Dans le même temps, pour faire face à l’étendue du champ de ses missions, l’Assemblée de Martinique pourrait s’inspirer de celle de Corse qui est passée de 51 à 63 membres.  

  1. POUR UNE CONFÉRENCE DE COORDINATION DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

De plus, à l’instar de la Corse, on pourrait y adjoindre une « Conférence de Coordination des Collectivités Territoriales » composée du Conseil exécutif, du Président de l’Assemblée, des présidents de trois Communautés d’agglomération et des 34 maires de Martinique et qui « se réunit pour débattre des questions d’intérêt commun et coordonner l’exercice des compétences des collectivités territoriales, notamment en matière d’investissement » (Art. L.4421-3 du CGCT).

  1. SUR LA DÉMISSION DES CONSEILLERS EXÉCUTIFS DE L’ASSEMBLÉE & LA MOTION DE DÉFIANCE

Reprenant les mêmes modalités que la Loi du 13 mai 1991 portant statut de la Collectivité territoriale de Corse (CTC), les membres du Conseil exécutif doivent préalablement démissionner de l’Assemblée de Martinique et ne peuvent plus y retourner siéger. Ce faisant, la motion de défiance telle qu’elle est maintenue dans la loi du 27 juillet 2011 est à la fois une source d’insécurité juridique et d’instabilité politique.

Insécurité juridique car, en cas de motion de défiance et de censure du Conseil exécutif, celui qui a conduit la liste aux élections, et qui, de par la loi est le président du Conseil exécutif (art. L.7224-2 du CGCT), peut se retrouver éjecté par une fraction de sa majorité en cas d’alliance avec l’opposition. Un pied-de-nez à la démocratie représentative et aux électeurs qui, majoritairement, ont délégué leur pouvoir à la tête de liste.

Instabilité politique car, expérience vécue, les frustrations nées de la concentration du pouvoir décisionnel aux mains du Conseil exécutif au détriment de l’Assemblée ont fait naître des velléités, au sein même de la majorité et l’idée d’éliminer politiquement le Président du Conseil exécutif a traversé plus d’une tête supposée pleine, aussi bien durant l’ancienne que l’actuelle mandature.

En réalité, l’obsession du pouvoir a occulté la différenciation entre l’outil institutionnel et l’usage qui en est fait. De toute évidence, l’outil mérite d’être réformé et ce, indépendamment de celui qui est aux commandes.

S’agissant du mandat de Président de l’exécutif, aux termes de l’article L.4422-4 du CGCT :

« En cas de vacance du siège de président du conseil exécutif de Corse, pour quelque cause que ce soit, le président de l’Assemblée de Corse convoque sans délai l’Assemblée et il est procédé à l’élection d’un nouveau conseil exécutif ».

Cette nouvelle disposition simplifie la procédure en cas de vote de défiance ayant entrainé le renversement du Conseil exécutif.

En guise de conclusion

En Corse, aux termes des nouvelles dispositions de la Loi NOTRe du 7 août 2015, articles 30 & suivants, il a été institué la « Collectivité de Corse », en lieu et place de l’ex-Collectivité territoriale de Corse (CTC) et des Départements de Haute Corse et de Corse du Sud, qui a procédé à la définition de nouvelles règles de fonctionnement des institutions.

Comme souligné précédemment ainsi que dans mon ouvrage « L’audace de changer » (2021), cette réforme institutionnelle de la CTC n’a pas nécessité de révision de la Constitution mais d’une Loi ordinaire votée par le parlement. Aussi, à défaut d’une auto-saisine par nos parlementaires et indépendamment du Congrès des élus de Martinique, l’Assemblée de Martinique peut, sur le fondement de l’Article L.7252-1 du Code général des Collectivités territoriales, délibérer sur les modifications nécessaires et les transmettre au Premier Ministre.

Reste à s’accorder politiquement sur le niveau où l’on souhaiterait mettre le curseur pour obtenir une telle réforme de la Loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011 relative aux Collectivités territoriales de Guyane et de Martinique.

Martinique, le 10 septembre 2025

Louis BOUTRIN
Docteur en Droit
Conseiller Territorial de Martinique

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