Le président Lula, qui sera investi le 1er janvier, marque ses retrouvailles, après un temps de rupture, avec celle dont le premier passage au ministère (2003-2008) avait été marqué par des politiques audacieuses contre la déforestation.
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De toutes les nominations, c’était de loin la plus attendue. Le 29 décembre, la militante écologiste Marina Silva a été officiellement désignée comme future ministre de l’environnement au sein du gouvernement de Luiz Inacio Lula da Silva. Avec cette personnalité charismatique à la compétence reconnue, le nouveau président de gauche a tenu à envoyer un signal fort, à quelques jours de son investiture, prévue le 1er janvier.
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Pour « Marina », comme l’appellent les Brésiliens, il s’agit de retrouvailles à plusieurs titres, et d’abord avec ce portefeuille de l’environnement, qu’elle occupa déjà entre 2003 et 2008. La ministre mit alors en place une série de politiques audacieuses afin de faire baisser la déforestation dans la forêt amazonienne. Les résultats furent spectaculaires : le déboisement chuta de 80 % en une décennie.
Mais les retrouvailles concernent aussi Lula lui-même. Jeudi, face aux caméras, les deux personnalités se sont chaleureusement prises dans les bras. De quoi mettre fin à quinze années de mésententes. En 2008, Marina Silva avait claqué avec fracas la porte du gouvernement de ce même Lula, sur fond de conflits sur la préservation de l’environnement. La militante déchira sa carte du Parti des travailleurs (PT) et entra en dissidence.
La frondeuse avait alors été en proie aux attaques sans merci de ses anciens alliés, qui tournaient en dérision son intransigeance et sa foi évangélique. Tenace, elle s’est pourtant présentée à trois reprises à la présidentielle. En vain : en 2018, l’écologiste n’avait obtenu que 1 % des suffrages. De guerre lasse, et face à la menace d’une réélection du président d’extrême droite Jair Bolsonaro, elle avait fini par se ranger fermement en 2022 derrière la candidature Lula.
L’engagement le plus profond de Marina Silva demeure l’environnement. Agée de 64 ans, cette native du petit Etat amazonien de l’Acre a grandi dans les communautés très pauvres des seringueiros, les ouvriers collecteurs du latex d’hévéa. Durant son enfance, « Marina » connut la faim, la contamination au mercure, au plomb, au fer, le paludisme, les hépatites… avant d’entrer en politique et de s’engager dans les années 1980 aux côtés du légendaire activiste écologiste Chico Mendes.
A l’heure du retour aux affaires, les hommages sont unanimes. « Compétente », « charismatique », « habile négociatrice », Marina Silva « réunit bien des qualités qui peuvent lui permettre de reconstruire une politique environnementale », loue Marcel Bursztyn, professeur au centre de développement durable de l’université de Brasilia. Une urgence absolue, dans un pays à la nature saccagée par quatre années de bolsonarisme, qui ont vu 45 000 kilomètres carrés de forêt amazonienne partir en fumée.
Et pourtant : malgré un consensus apparent, le nom de « Marina » a mis du temps à s’imposer. De nombreux membres du PT auraient préféré voir l’ancienne frondeuse reléguée à un poste technique, telle une nouvelle autorité climatique. Le portefeuille de l’environnement fut même un temps proposé à Simone Tebet, arrivée troisième à l’élection présidentielle d’octobre et ralliée à Lula. Les positions hostiles aux terres indigènes de cette sénatrice proche de l’agrobusiness sont pourtant dénoncées depuis des années par les ONG. L’option a fini par être écartée.
L’environnement est loin d’être un cas à part : depuis la victoire du 30 octobre, les négociations du gouvernement ont viré au casse-tête. Privé de majorité au Congrès, le président élu doit composer avec une douzaine de formations politiques. Afin de contenter tout le monde, il n’a eu d’autre choix que de gonfler le nombre de ministères : ils seront désormais 37, contre 23 dans l’administration sortante.
« Former un gouvernement est plus difficile que de gagner les élections », a reconnu un Lula éreinté, le 22 décembre. En habile metteur en scène, il a tout de même réalisé quelques coups d’éclat symboliques. Son futur cabinet comptera plusieurs personnalités noires de premier plan, tel l’avocat Silvio Almeida au ministère des droits de l’homme, l’actrice Margareth Menezes à la culture, ou encore Anielle Franco, sœur de la conseillère municipale de Rio Marielle Franco, assassinée en 2018, à l’égalité raciale. Un nouveau et très symbolique ministère des peuples indigènes a également été créé. Il sera dirigé par Sonia Guajajara, figure de la lutte pour les peuples autochtones.
Pourtant, le renouvellement demeure relatif. Le gouvernement ne comptera que onze femmes pour vingt-six hommes, tandis que les formations de l’establishment conservateur, dites du « Centrao » (grand centre), tel le Parti démocratique social ou l’Union Brésil, ont obtenu des maroquins importants : agriculture, énergie, communication, tourisme, transport, villes et, surtout, planification, qui échoie à Simone Tebet, elle-même membre du Mouvement démocratique brésilien.
Quant aux ministères-clés, ils restent aux mains de la « vieille garde ». Economie, affaires étrangères, justice, défense, éducation, travail et Casa Civil (équivalent de chef de cabinet) ont échu à des hommes blancs, plutôt âgés, tous des fidèles et proches du président élu. Car Lula demeure méfiant. La destitution controversée de sa successeure, Dilma Rousseff, en 2016, l’a durablement marqué, tout comme son incarcération pour corruption durant cent quatre-vingts jours entre 2018 et 2019.
« Le pays demeure instable. Il était nécessaire pour Lula de disposer d’une épine dorsale », justifie Flavia Biroli, politiste à l’université de Brasilia. Entre les futurs ministres, les conflits paraissent néanmoins inévitables. « Marina Silva va devoir batailler ferme contre plusieurs personnalités », note Marcel Bursztyn. Dans le viseur : Carlos Favaro, ancien président de la puissante association des producteurs de soja de l’Etat rural du Mato Grosso, nommé à l’agriculture.
Pour l’heure, dans l’attente de l’investiture de Lula, chacun surjoue l’unité et l’apaisement. Un travail rendu d’autant plus aisé par l’absence de Jair Bolsonaro. Décrit comme très abattu, voire dépressif, le président sortant ne compte pas assister aux cérémonies de passation de pouvoir. A la veille du Nouvel An, il devait s’envoler pour la Floride. Selon ses proches, il pourrait y demeurer plusieurs mois.
Bruno Meyerfeld(Brasilia)
*MARINA SILVA* née le 8 février 1958 à Rio Branco (Brésil), est une historienne, enseignante, psychopédagogue, militante écologiste et femme politique brésilienne.
Elle est élue sénatrice en 2002 sous l'étiquette du Parti des travailleurs, et exerce la fonction de ministre de l'Environnement de 2003 à 2008, sous la présidence de Lula. Elle reçoit le prix Goldman pour l'environnement en 1996, puis le prix Sophie en 2009.
Candidate à l'élection présidentielle de 2010 pour le Parti vert, elle arrive troisième avec 19,3 % des voix. Après avoir échoué à créer son propre parti, elle rejoint en 2013 le Parti socialiste brésilien (PSB) et forme un ticket avec Eduardo Campos pour l'élection présidentielle de 2014. Après la mort accidentelle de ce dernier, elle est désignée candidate du PSB et recueille 21,3 % des voix lors du scrutin. Elle est à nouveau candidate en vue de l'élection présidentielle de 2018, où réalise son plus mauvais score, obtenant 1 % des voix.
Marina Silva em março de 2018 :
Voix au 1er tour 22 176 613 voix (21,32%)
HASTA VICTORIA SIEMPRE
Tjenbé Red